Le secteur de l’horlogerie de luxe a fini par se faire rattraper par le ralentissement économique mondial. Après avoir affiché une croissance solide entre 2009 et 2014, les exportations horlogères suisses ont commencé àreculer dès mars 2015. Le phénomène était attendu ; la seule question était de savoir quand il se produirait. Si la décroissance est modérée, elle est plutôt alarmante : certes, les marchés historiques, à l’instar du Japon, tirent leur épingle du jeu avec encore + 35 % en janvier ; mais, à l’inverse, les Etats-Unis reculent de 13 %.
Facteur aggravant, le franc suisse s’est renchéri depuis janvier 2015 et a entraîné à la hausse les prix à l’export. Le premier marché mondial de la montre suisse, Hongkong, s’affiche ainsi en retrait de 33 % en un an − un recul intimement lié à celui de son géant voisin, la Chine, dont les importations baissent encore de 1,9 %. Dans cette région, le contexteéconomique se conjugue avec les logiques d’influence et la chasse à la corruption − autant de facteurs qui entament le premier débouché de la montre suisse.
Dans ses franges moins coûteuses, l’horlogerie subit la montée en puissance des montres connectées. Ces petits ordinateurs tactiles de poignet produits par Samsung ou Apple détournent une partie des acheteurs traditionnels de montres de moins de 450 € − un segment en baisse de 20 % en janvier 2016. L’influence de ce nouveau type de produit − inscrit dans la logique de l’industrie électronique, et donc à durée de vie courte − sur les segments milieu et haut de gamme reste cependant à prouver. Seule certitude, l’adaptation à cette nouvelle conjoncture passe par une redéfinition des seuils de prix, qui est la tendance lourde de Baselworld 2016.
Nouveaux matériaux
Les réservoirs d’inventivité et de valeur dans l’horlogerie portent à la fois sur les complications, les matières et les technologies. Sur tous ces aspects, les tarifs sont orientés à la baisse. Le domaine le plus visible est celui des complications – c’est ainsi que le secteur nomme les indications et dispositifs internes de la montre. Deux des plus grands classiques ne cessent de se démocratiser. La Perpetual Calendar Slimline Manufacture de Frédérique Constant indique automatiquement la date complète, quelle que soit la durée du mois − 28, 29, 30 ou 31 jours −, ce qui n’a rien de simple. A 8 000 €, elle est encore 20 % moins chère que le précédent modèle, déjà très agressif.
Cela vaut également pour la complication la plus emblématique des années 2000 et 2010, le tourbillon. Dispositif mécanique visant à augmenter la précision, il s’est transformé en martingale. Lui aussi subit une baisse de prix à marche forcée. TAG Heuer vient de définir un nouveau palier avec la Carrera Heuer-02T, commercialisée autour de 15 000 €. Unplancher d’autant plus bas que la montre propose un design sophistiqué et un chronographe en prime.
Le sujet des matières agite depuis des années le Landerneau horloger. Le duopole de l’acier et de l’or est bousculé par le titane, le carbone et autres substances qui définissent profondément le fonctionnement et l’apparence de la montre. Ainsi, le silicium se répand à grande vitesse dans les mouvements. Issu du domaine des microprocesseurs, il augmente la précision et la fiabilité des mouvements. Moins exclusif, il équipe désormais des marques modestes. Dans le domaine des boîtiers, la fibre de carbone fut longtemps inabordable, car d’une technicité élevée et complexe à travailler. En cinq ans, elle a subi des réductions de prix d’un facteur dix.
Cette échelle est la même pour le saphir. En horlogerie, le saphir synthétique transparent est omniprésent. Translucide, inrayable, ultra-technique, il compose les verres inrayables des montres, les rubis de leurs mouvements et sert également à réaliser des boîtes de montre. Son seuil d’accès est rapidement passé de plus de 1 million d’euros à 50 000 euros avec la Big Bang Unico Saphir de Hublot. Certes, les tarifs restent élevés, mais la baisse de prix est vertigineuse. Et comme l’innovation et l’exclusivité ne sont pas l’apanage des marques les plus coûteuses, d’autres matières plus modestes font valoir leurs arguments. En particulier, le bronze poursuit sa percée remarquable, comme l’illustre son adoption par Tudor, qui en habille son modèle Heritage Black Bay.
Un leader offensif
En toile de fond, l’influence de Swatch Group se fait sentir. Le leader mondial du secteur, qui possède les marques Longines, Breguet ou encore Tissot, ne cesse d’augmenter la qualité de ses propositions sans que les tarifs ne s’envolent. Sur ses marques de milieu de gamme, comme Mido, Hamilton ou Rado, les mouvements proposent de plus en plus des autonomies longues, des précisions de marche chronométriques (donc excellentes), le tout à des prix stables ou sages. Dernier exemple en date, la Mido Baroncelli Chronometer Caliber 80 SI propose 80 heures de marche (deux fois la norme), une certification chronométrique et un mouvement dopé au silicium pour 1 070 €, moins du tiers de toute autre proposition équivalente.
Ce leadership se traduit par une baisse des marges du groupe, qui n’en a cure. Sa position de numéro un lui permet de pousser ses concurrents dans leurs retranchements. Mais l’horlogerie est un secteur varié, qui pratique toutes les gammes de tarif et de style. Les difficultés économiques n’empêchent ni l’innovation, ni les surprises, ni les propositions extrêmes. Baselworld sait aussi faire rêver.