Les laboratoires de la société lucernoise et l'EPFZ ont développé un nouveau procédé de traçabilité des pierres de couleur permettant d'obtenir des informations quant aux caractéristiques de la mine ou le nom de l'exploitation De quelle mine provient une émeraude ou un rubis? La pierre a-t-elle été extraite dans des conditions éthiques? Pour répondre à de telles questions et obtenir plus de transparence sur l’origine d’une pierre précieuse de couleur, les laboratoires de la société lucernoise Gübelin ont conçu avec l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich un nouveau procédé de traçabilité.
Cette nouvelle technologie, testée dans deux gisements au Brésil et en Zambie, a été présentée lundi à la Foire de Bâle. Concrètement, des nanoparticules ont été spécifiquement développées pour le domaine de la gemmologie. «Invisibles à l’œil nu et même avec un microscope optique, ces nanoparticules sont déjà utilisées dans différentes industries, dans l’alimentaire ou la cosmétique, pour éviter la contrefaçon. Ils contiennent des fragments d’ADN encapsulés où résident des informations quant aux caractéristiques de la mine ou le nom de l’exploitation», explique Daniel Nyfeler, directeur des laboratoires Gübelin Gem Lab.
«Nous avons été ravis de participer aux tests de cette nouvelle technologie qui devrait offrir de nombreux bénéfices à l’industrie. Elle offrira notamment une sécurité additionnelle à la fraude et au vol», a noté Ian Harebottle, directeur général de Gemfields. Concrètement, Gübelin prévoit de commercialiser sa formule aux sociétés d’extraction minière qui plongeront les pierres dans la formulation élaborée par le groupe lucernois. «Les nanoparticules pénètrent et s’accrochent à la pierre via ses microfissures. Par la suite, il est possible de la tailler sans endommager cet ADN synthétique», ajoute Daniel Nyfeler.
L’émeraude est encore souvent extraite dans des petites mines artisanales qui échappent souvent à tout contrôle et réglementation.
La société familiale Gübelin souhaite convaincre aussi bien des puissantes sociétés d’extraction minière comme Gemfields ou Mineria Texas Colombia, mais également des plus petites coopératives. «A cet effet, nous avons des contacts avec des organisations humanitaires qui pourraient soutenir financièrement cette opération», prévoit Daniel Nyfeler qui vise dans un premier temps les producteurs d’émeraude. Une dizaine de pays sont concernés. Certains d’entre eux comptent un à trois exploitants de mines, alors que d’autres en répertorient près de 300.
«Le marché est complètement fragmenté et non transparent. L’émeraude est encore souvent extraite dans des petites mines artisanales qui échappent souvent à tout contrôle et réglementation. Le cheminement de la pierre, de la mine à la vitrine, est d’une grande opacité», souligne Daniel Nyfeler, un géologue de formation.
La gemme verte n’échappe pas à la tendance actuelle: les clients occidentaux veulent connaître les conditions d’extraction et acheter éthique. Dans cette mouvance, Chopard propose, par exemple, des bijoux labellisés Fairminded, une certification assurant que l’or est extrait de façon responsable au sein d’exploitations artisanales et que les mineurs et l’environnement sont correctement traités. Les acheteurs de cet or s’engagent à verser une prime, réinvestie ensuite dans les projets communautaires. Depuis mai 2016, Chopard s’est associé à Gemfields, pionnier de l’extraction de pierres de couleur, dont l’émeraude.
La traçabilité devrait redorer l’émeraude qui pâtit encore de sa réputation sulfureuse dans certains pays. A l’exemple du Pakistan où l’extraction des pierres précieuses se situe le long de la frontière avec l’Afghanistan, dans des zones tribales qui servent de repaire aux insurgés talibans actifs des deux côtés de la frontière. En Colombie, même si les mines, comme celle de Muzo, tentent d’améliorer leur image, la gemme verte évoque encore la guerre à laquelle se sont livrés les cartels de la drogue pour le contrôle des exploitations de la province de Boyaca qui a fait quelque 3000 à 3500 victimes entre 1984 et 1990, selon les estimations officielles.
Des pierres précieuses de plusieurs millions franchissent régulièrement la porte du laboratoire hautement sécurisé de Gübelin à la Maihofstrasse 102 à Lucerne. Une vingtaine de personnes, des physiciens, des gemmologues et des géologues notamment, travaillent dans ce laboratoire indépendant situé au sein même de la maison-mère fondée en 1854 par Eduard Josef Gübelin.
Cette société familiale de 400 personnes, dirigée par Raphaël Gübelin – représentant de la 6e génération – possède ses propres ateliers de fabrication de bijoux et plusieurs boutiques. Elle est également active dans le négoce de pierres. Parallèlement, depuis 1923, son laboratoire de gemmologie s’est forgé une réputation internationale dans l’estimation des diamants et des pierres précieuses de couleur.
Deux nouveaux laboratoires ont été récemment ouverts à Hong Kong et New York. Ils ont pour mission d’analyser et certifier l’authenticité des pierres et d’en déterminer la provenance, un résultat qui influence la valeur de marché de la pierre et sert de référence. Ces pierres sont scrutées au moyen d’analyse microscopique, spectroscopique et chimique. «Nous analysons environ 10 000 pièces chaque année essentiellement pour des maisons de vente aux enchères», précise Daniel Nyfeler.
Gübelin a constitué une collection de 27 000 pierres précieuses colorées, rassemblées et répertoriés au sein de la maison durant les 100 années écoulées. Cette collection permet d’identifier le pays d’origine. «Un rubis de Birmanie a par exemple une valeur deux fois plus importante qu’un rubis de Madagascar, alors que leurs apparences sont identiques. Un saphir originaire du Cachemire coûte dix fois plus qu’un homologue de Madagascar», explique Daniel Nyfeler.