Depuis toujours, la nature est à la joaillerie ce que l’amour est à la littérature : un sujet d’inspiration intarissable. Florilège.
On les croyait rangées des pétales. Faux. Les fleurs en ont encore sous les corolles. Les joailliers tordent le cou aux clichés, quitte à se frotter à leurs épines plutôt qu’à leur délicatesse. Tant mieux. Car la nature ne manque pas de piquant. L’influence de la période Art déco n’est jamais loin. Si, en 1900, les thèmes de l’Art nouveau sont tous ou presque d’inspiration végétale – inoubliables femmes-fleurs de René Lalique et lampes de Gallé –, le style Art déco, lui, bannit faune et flore. Entre les deux, la haute joaillerie contemporaine balance.
Ainsi, le lys, cette icône sur tige depuis le milieu des années 1800, revient en force, serti d’une féminité maîtrisée. C’est Joseph Chaumet qui, en 1896, lui fait connaître son heure de gloire. Exalté par la couronne de diamants de Marie Leszczynska, épouse de Louis XV, il conçoit celle qui sera offerte à l’archiduchesse Marie-Dorothée de Habsbourg pour son mariage avec Philippe duc d’Orléans, à Vienne. Sculptée de saphirs et de diamants jaunes et bleus, de tourmalines et d’opales, la fleur aux pétales opalescents s’exprime avec un sens du détail inouï dans un collier de la collection Chaumet. Très Art déco aussi, la manchette Sunny Side of Life de la maison Piaget qui fait jaillir l’eau en gouttes de saphirs bleus.
Les pendants d’oreilles au plissé de diamants de la maison de Grisogono convoquent un graphisme digne de l’entre-deux-guerres. Les dernières pièces de la collection Serpenti chez Bulgari tranchent également avec une nature fragile. Sous les traits anguleux et les lignes hexagonales d’un reptile iconique dont les deux rubis lancent des éclairs, la subversion devient sujet esthétique.
Figure originelle d’un éden, le serpent ramène à la terre, ses dangers et ses tentations.
Platon ne décrit-il pas l’ouroboros – un serpent se mordant la queue – comme le symbole de la vie éternelle ? Cléopâtre se présentait comme la réincarnation d’Isis, déesse d’Alexandrie à Rome, dont les attributs incluaient un serpent. Porté par la souveraine séductrice, le diadème en or, orné d’un cobra dressé, emblème royal aux pouvoirs protecteurs dans l’ancienne Egypte, en a immortalisé l’aura. Terrien aussi, le bracelet Dans les Bois de la maison Chopard. Il recompose le tronc noueux, la mousse et le lichen en un tableau de verdure taillé dans le bois, les diamants bruns et le titane. Cartier jette lui aussi aux orties les brassées de pétales et lui préfère la fantaisie insolite du cactus. Arrondie de pierres pulpeuses, émeraudes, chrysoprases et cornalines, cette fleur de caractère promène son charme solaire dans un eldorado luxuriant mais pas mièvre.
Si cette saison le blé fait moisson pleine, le succès de ce thème ne date pas d’hier.
Napoléon, à la conquête de nouveaux territoires comme d’emblèmes de la Rome impériale, remet au goût du jour laurier, chèvrefeuille et épis. Et fait du port du diadème un signe extérieur de grandeur pour les femmes de la cour et de Nitot, l’ancêtre de la maison Chaumet, son joaillier officiel. Parmi les commandes de bijoux de l’empereur, pas moins de 150 épis de blé figurent dans les archives ! Et le 15 juillet 1804, lors de la cérémonie de la première distribution des décorations de la Légion d’honneur aux Invalides, l’impératrice Joséphine apparaît le front ceint d’un diadème d’épis de blé en diamants. Cette nature non domestiquée, dont raffole l’impératrice Eugénie, inspire Frédéric Boucheron dès 1858. Le lierre sous les arcades du Palais-Royal fascine le joaillier, tout comme les feuilles de chanvre, le brin de blé et même les chardons. Cette végétation moins convenue entre alors dans ses ateliers pour fleurir sur les broches et les corsages des femmes les plus en vue. Fidèle à cette tradition, le collier Blé d’été de la nouvelle collection donne à voir des gerbes d’épis plus vrais que nature. Longtemps associé à la fertilité, le blé tressé, attribut de Cérès, déesse des moissons, et de Déméter, dans la Grèce antique, est aussi lié à la fête de Saint-Jean. Cueillir sept brins dans sept champs ce jour-là apporterait la prospérité toute l’année.
Gabrielle Chanel, elle aussi, n’était pas insensible à ce motif champêtre. Son père, paysan, veillant sur « le bon blé » comme d’autres sur « le bon pain », elle en fait un élément de décoration récurrent dans ses appartements. La haute joaillerie Chanel met l’emblème nourricier au cœur de sa dernière collection. La maison Christian Dior est tout autant inspirée. L’enfance protégée du couturier dans une villa lui donne la vision de femmes-fleurs dont il connaît, pour chacune, le nom latin. Son vocabulaire parle pour lui : « Bustes épanouis, tailles fines comme lianes, jupes larges comme corolles. » En hommage, Victoire de Castellane imagine une joaillerie à la poésie onirique. La collection Dior à Versailles revisite le faste du château, la coquetterie de Marie-Antoinette, son penchant pour les parures, les ambiances pastorales et les plumes de paon. Retenues par un ruban comme un bouquet dans la bague Double Panache, ces plumes invitent à un porté spectaculaire, plus près de la grandeur royale que de l’âme bergère de Marie-Antoinette.
Depuis toujours, place Vendôme, la nature prophétise un bonheur en herbe. Sur les 55 000 dessins gouachés des archives de la maison Chaumet de 1780 à 1987, plus de la moitié prennent pour thème la nature. A la fin des années 1930, camélias, marguerites, capucines et anémones foisonnent sur des clips, puis des broches. Ce sont des bijoux d’après-midi qui soufflent un petit air de printemps sur le revers d’un col de tailleur ou le devant d’un sac. En 1938, la maison Cartier crée un bouquet très naturaliste en quelques exemplaires pour honorer le Royaume-Uni en visite officielle à Paris : le chardon pour l’Ecosse, la jonquille pour le pays de Galles, le trèfle pour l’Irlande du Nord et la rose pour l’Angleterre. Un bouquet couronné de succès ! Reste que, à chaque saison, la haute joaillerie dessine des chemins verts où le regard aime volontiers se perdre. La maison Poiray invite à effeuiller ses jolies bagues-marguerites articulées d’un « je t’aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… ». Ces fleurs ont des couleurs qui ne fanent jamais. L’automne y fait roussir les rubis, les grenats et les saphirs jaunes. Et même si le bruissement du vent dans leurs feuilles ne s’entend pas, leur éclat sur la peau frissonne avec la plus vive douceur.