Déjà commercialisée en exclusivité sur Net-a-Porter, puis disponible au début du mois de juin dans toutes les boutiques Cartier, la version 2017 est fidèle à l’originale : cadran carré aux angles arrondis, bracelet en maille « grains de riz » entièrement articulé et chiffres romains sur fond clair, seule l’étanchéité a été améliorée. Une façon de réaffirmer, si besoin est, que la panthère est bien l’emblème de Cartier. Car, outre de nombreuses déclinaisons joaillières, le félin a fait l’objet de spectaculaires films institutionnels (dont L’Odyssée en 2012, avec un budget de 4 millions d’euros) et d’un parfum tout simplement baptisé Panthère, créé en 1987, arrêté puis relancé en 2014. En somme, le même destin que la montre.
« Lancée en 1983, la Panthère a longtemps été notre modèle féminin le plus vendu. Mais, lorsqu’elle a été supplantée par la Tank Française, arrivée en 1996, nous en avons cessé la fabrication, explique Pierre Rainero, directeur du style et de l’image. Aujourd’hui, nous relançons cette montre à l’esthétique féminine, un peu par intuition. » Une intuition plutôt bonne puisque selon la maison de ventes Artcurial, le garde-temps aurait vu sa valeur grimper ces cinq dernières années sur le marché du vintage. « Cette montée des prix s’explique par le retour des années 1980 dans l’horlogerie, et notamment des modèles en or jaune. Ainsi, en janvier, nous avons vendu une Panthère or jaune des années 1980 à 5 200 €, contre 3 315 € en 2010 », affirme Marie Sanna-Legrand, directrice du département horlogerie de collection chez Artcurial. Alors que, dans les boutiques Cartier, le même modèle réédité débute, lui, à 19 200 €…
La spécialiste d’Artcurial poursuit avec une autre référence, elle aussi récemment ressortie des archives à la suite de son succès sur le marché de l’occasion : « La Bulgari Bulgari Tubogas double tour de Bulgari se vendait 5 000 € aux enchères il y a quinze ans, aujourd’hui elle peut grimper jusqu’à 15 000 €. » Pour ne pas se tromper, Tag Heuer a été plus direct : il a consulté les internautes par l’intermédiaire de sa page Facebook pour décider quel modèle d’Autavia, cette ligne originellement destinée aux pilotes, réediter. Fort des résultats, le fabricant suisse a choisi cette année d’exhumer l’Autavia Rindt 2446, qui a pu se revendre jusqu’à 40 000 €. De là à déduire que les fluctuations des prix du vintage motivent les choix de rééditions des maisons horlogères ?
« J’ai certes un œil curieux sur le marché de l’occasion, mais cela n’a aucune incidence sur nos lancements », assure Pierre Rainero chez Cartier. Selon Loïc Bocher, le PDG de Collector Square, l’un des leaders de la vente sur Internet de produits de luxe seconde main, ce serait même l’inverse. « Ce sont plutôt les modèles vintage qui sont portés par les rééditions et les anniversaires », affirme-t-il. Et, pour en faire la démonstration, il s’appuie sur le LuxPrice-index, sa base de données qui recense la majorité des ventes aux enchères de ces dix dernières années. Ainsi, lorsqu’en 2007 Piaget célèbre les cinquante ans de l’Altiplano, l’une de ses montres emblématiques, son prix moyen grimpe à 40 000 euros, bien au-dessus du montant « habituel » constaté de 1 261 euros. Autre exemple : en 2013, l’année du cinquantième anniversaire de la Daytona de Rolex, sa valeur moyenne aurait augmenté de 79 %.
Comment expliquer alors la cote ascendante de la Panthère, avant même qu’elle ne soit relancée ? « Il est possible que l’annonce même de sa réédition ait eu une incidence sur sa valeur en occasion, poursuit-il. La communication que la marque fait autour du modèle crée de l’appétit et donc une demande plus forte, ce qui a pour conséquence de faire grimper les prix. » Et les maisons de vente ne sont pas les seules à en tirer des bénéfices. « Ces records servent aussi l’image des marques ainsi que leur discours marketing puisqu’ils racontent une histoire : celle d’un objet patrimonial qui va prendre de la valeur », décrypte le PDG de Collector Square. Sans risquer de nuire aux ventes de la réédition flambant neuve que l’on peut trouver place Vendôme ? « Ce n’est pas le même concept d’achat », assure Marie Sanna-Legrand. C’est un peu comme en design : la Plastic Chair Eames a beau avoir été rééditée dans toutes les couleurs par Vitra, les puristes continueront de traquer les premiers modèles des années 1950.