Sur cette palette flamboyante, les aristocratiques pierres précieuses (diamants, rubis, émeraudes, saphirs) partagent la vedette avec les « pierres dures », ces gemmes plus ou moins opaques considérées de moindre valeur. A force de les croisier dans les bazars néohippies, on a eu d’ailleurs tendance à les associer à un look bon marché parfumé à l’encens.
Possibilités infinies, nuances et effets innombrables pour une même pierre, sans compter les nouveaux « cailloux » que continue de livrer mère nature : les pierres dures offrent un répertoire esthétique unique. Grâce à ses nuances violines qui évoquent le fard de maquillage, la sugilite, une découverte récente, a ainsi inspiré à la créatrice parisienne Lydia Courteille, une impressionnante bague cabochon aux effets surréalistes. Moins normées que leurs précieuses cousines, les pierres dures sont des créatures délicieusement surprenantes dont le maniement est une aventure en soi. « Chacune est unique et possède sa propre personnalité, confirme Julia Muggenburg, créatrice de Belmacz, une maison londonienne pointue et racée où l’usage des pierres dures est devenu une signature. J’ai fait des bagues en agate qui ont l’aspect d’une confiture de lait mais celle qui est en agate de Madagascar est très étrange, il y a comme une explosion sous sa surface. De toute façon, il se passe toujours quelque chose de fascinant dans une pierre dure et même la personne la moins mystique veut savoir ce qu’elle a dans le ventre. Selon la façon dont on la taille, une facette – bonne ou mauvaise – se révèle et il faut en tenir compte en atelier. Mais il est toujours très excitant de voir ce que la nature nous a réservé. »
Au fil de l’histoire, ces caractères étranges ont nourri, sans doute, l’aura mystique et les nombreux symbolismes attachés à ces pierres dures. « Elles sont plus anciennes que les diamants dans l’histoire du bijou, rappelle Lucia Silvestri, celui-ci ne les a supplantées en termes de valeur et de popularité qu’au VIe siècle. » Les Egyptiens et leur théologie pléthorique ont largement exploité leurs divers « pouvoirs ». Lapis-lazuli « yeux de dieu », la cornaline « protectrice du sang d’Isis », malachite, tantôt fard à paupières tantôt onguent (mêlée à de la bouse de vache !)… ces pierres ont accompagné la vie terrestre et spirituelle de tout un peuple qui continue de susciter des fantasmes. Plus au nord, la Russie impériale a arraché aux terres de l’Oural la malachite qui servit à décorer ses palais les plus baroques.
De l’égyptomanie napoléonienne aux années 1970 libérées et psychédéliques en passant par les graphismes Art Déco, la joaillerie occidentale s’est chargée de donner des lettres de noblesse et un caractère institutionnel aux créations ornées de pierres dures, associées à des matériaux plus précieux.
Une vraie saga millénaire multifacette, remise au goût du jour récemment par le retour en grâce dans la mode de l’esthétique des seventies, dernier âge d’or en date de ces pierres. « Toutes ces couches d’histoire, cette ambiguïté constante rendent les bijoux en pierres dures particulièrement intéressants, explique Julia Muggenburg. Ils placent la joaillerie dans un contexte socioculturel beaucoup plus large. Et, en même temps, leur caractère unique permet à ceux qui les portent de montrer leur différence, une vraie compréhension de ce qu’est le style, la beauté. »
Gage d’originalité et de raffinement, en rupture avec une culture du bijou « nouveau riche » qui valoriserait uniquement les plus grosses pierres précieuses, statutaires et rutilantes, ces pièces ont des qualités pragmatiques qui confirment leur modernité. « Ces bijoux ont un côté moins précieux, plus décomplexé, ajoute Lucia Silvestri, ils se portent plus facilement, et puis on peut les associer librement, les accumuler. » On n’a pas fini d’en entendre parler.