Poétiquement baptisés « jardins », ces petits « défauts » sont aussi une garantie d’authenticité qu’aucun faussaire ne saurait reproduire. Les émeraudes ornent donc les bijoux depuis des millénaires, Cléopâtre elle-même les aurait collectionnées. La saga de ces gemmes est, en tout cas, une véritable leçon d’histoire et de géographie où se croisent les marchands hispaniques venus d’Amérique du Sud (la Colombie et le Brésil sont particulièrement riches de cet « or vert »), les artisans des royaumes indiens – des graveurs de pierre hors pair – ou des cours européennes, et les appétits des riches et puissants d’Europe.
Sauvée du démantèlement de la Sainte Couronne de France, l’émeraude dite de « Saint Louis » est un témoin de poids (55 carats) de la fin de la royauté. En 1993, une épave coulée 236 ans plus tôt au large de la Floride a livré un autre vestige : Isabella, une émeraude de 964 carats. Mystère et aventure nourrissent l’aura d’une beauté au cœur vert sauvage qui séduit plus que jamais, qu’elle soit considérée comme un investissement financier ou un choix esthétique.
Pour les collections de haute joallerie présentées lors de la Fashion Week, en juillet à Paris, traditionnellement au même moment que les défilés haute couture, les grandes maisons de joaillerie ont puisé dans les mines de Colombie, du Brésil ou de Zambie pour livrer des interprétations brillantes de l’émeraude. Qu’elles émanent de l’impératrice d’Iran, de la maharani de Baroda ou de Faouzia d’Egypte, d’illustres commandes ont inscrit cette gemme au patrimoine de Van Cleef & Arpels qui lui dédie sa nouvelle collection « Emeraude en majesté ».
Parmi les 1 400 carats d’émeraudes rassemblés dans cet ensemble étourdissant, les onze pierres octogonales posées en demi-cercle sur le bracelet « Liens antiques » soulignent son graphisme sensuel et moderne, tandis que le charme mystérieux et millénaire des perles gravées du collier « Grand Opus » contrastent avec le grand ruban d’or blanc et de diamants sur lequel elles sont suspendues.
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L’émeraude est également au cœur de la culture Cartier qui, en 1925, émerveillait l’Exposition universelle grâce à Bérénice, une émeraude de 141,13 carats, gravée comme un parterre de fleurs délicates. Pour la collection « Cartier magicien », les chasseurs de pierres de la maison ont donc mis la main sur un rare ensemble de neuf émeraudes colombiennes d’un vert intense ; elles habillent la parure Oracle, tels des îlots géométriques ombrés d’onyx et flottant dans l’eau limpide des diamants sertis sur platine.
Lumineuse, positive et riche en pierres somptueuses, la collection « Sunny Side of Life » de Piaget propose d’autres interprétations originales. Une émeraude taille coussin de presque 10 carats trône gracieusement dans une ample architecture arrondie et graphique. Sur un collier transformable en bracelet, on suit le chemin vert tracé par sept émeraudes « coussin » rejoignant un ruisseau de diamants d’où perle une nouvelle poire d’émeraude.
A cette vision abstraite et poétique répond le nouveau conte inventif de Victoire de Castellane chez Dior Joaillerie. La créatrice réinvente Versailles, pour une visite guidée où chaque bijou évoque les fastes du lieu, ses fêtes, ses personnages et son architecture grandiose. Dans un faux désordre d’or rose et jaune, platine, diamants, la délirante bague « Appartement de Mesdames » ou la double bague « Salon de l’abondance » accueillent d’impressionnantes émeraudes, mais aussi de l’argent noirci qui donne un aspect héritage décadent à ces bijoux, un détail subtil qui détourne délicieusement l’histoire.
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L’opulence romaine de Bulgari et les verts onctueux de l’émeraude ne pouvaient que s’entendre. En perles dans des colliers, en cascade de couleurs, à motifs carrés imposants sur un collier chaîne piqué de diamants pour princesse rock, en écailles sur des médaillons Serpenti au réalisme reptilien ou encore au centre d’un médaillon au dessin de jardin labyrinthique à l’éternelle floraison : cette pierre précieuse est partout.
D’un goût plus parisien que jamais, la collection « 26 Vendôme » (son adresse historique) de la maison Boucheron traite l’émeraude en parure très haute couture. Sertie en coussin dans un double nœud plat, soulignée d’onyx et de diamants blancs, elle se porte au doigt, ou au cou, sur un impressionnant sautoir, toujours graphique et moderne.
Chez Chanel Joaillerie, enfin, on a fait pousser le blé, porte-bonheur de Mademoiselle. Mais, au milieu des épis précieux où la lumière solaire se transcrit dans les flots de diamants et saphirs jaunes, quelques émeraudes ont tout de même pu éclore. Venues de Colombie, elles répondent gracieusement à l’éclat flamboyant de diamants orangés et de l’or jaune. Et imposent une certaine idée du triomphe de la nature.